Le Drian, « chef
de la diplomatie française a notamment évoqué la “crise grave” provoquée par
cet abandon de contrat par Canberra, dénonçant un “mensonge (...), une
duplicité (...), une rupture majeure de confiance” et un “mépris” de la part
des alliés de la France ».
Est-il naïf ce Le Drian ?
Ou nous prend-il pour des cons ?
Il devrait lire l’historienne
Annie Lacroix Riz.
avait prévu d’imposer à la France - comme aux futurs vaincus, Italie, Allemagne et
Japon - un statut de protectorat, régi par un Allied Military Government of Occupied Territories (Amgot).
Ce gouvernement militaire américain des territoires occupés aurait aboli toute
souveraineté, y compris le droit de battre monnaie, sur le modèle fourni par les
accords Darlan-Clark de novembre 1942.
A
en croire certains historiens américains, ce projet tenait à la haine
qu’éprouvait Franklin D. Roosevelt pour Charles de Gaulle,« apprenti
dictateur » qu’il eût voulu épargner à la France de
l’après-Pétain. Cette thèse d’un président américain soucieux d’établir la
démocratie universelle est séduisante, mais erronée (1).
Un « Vichy sans
Vichy »
A
l’époque, les Etats-Unis redoutaient surtout que la France, bien qu’affaiblie
par la défaite de juin 1940, s’oppose à leurs vues sur deux points, du moins si
de Gaulle, qui prétendait lui rendre sa souveraineté, la dirigeait. D’une part,
ayant lutté après 1918-1919 contre la politique allemande de Washington, Paris
userait de son éventuel pouvoir de nuisance pour l’entraver à nouveau. D’autre
part, la France répugnerait à lâcher son empire, riche en matières premières et
en bases stratégiques, alors que les Américains avaient dès 1899 exigé - pour
leurs marchandises et leurs capitaux - le bénéfice de la « porte
ouverte » dans tous les
empires coloniaux (2).
C’est
pourquoi les Etats-Unis pratiquèrent à la fois le veto contre de Gaulle,
surtout lorsque son nom contribua à unifier la Résistance, et une certaine
complaisance mêlée de rigueur envers Vichy. A l’instar des régimes
latino-américains chers à Washington, ce régime honni aurait, à ses yeux,
l’échine plus souple qu’un gouvernement à forte assise populaire.
Ainsi
chemina un « Vichy sans Vichy » américain, qu’appuyèrent, dans ses
formes successives, les élites françaises, accrochées à l’Etat qui leur avait
rendu les privilèges entamés par l’« ancien régime » républicain et
soucieuses de négocier sans dommage le passage de l’ère allemande à la pax americana.
Préparant
depuis décembre 1940, bien avant leur entrée en guerre (décembre 1941), leur
débarquement au Maroc et en Algérie avec Robert Murphy, représentant spécial du
président Roosevelt en Afrique du Nord et futur premier conseiller du
gouverneur militaire de la zone d’occupation américaine en Allemagne - bête
noire des gaullistes -, les Etats-Unis tentèrent un regroupement autour
d’un symbole de la défaite, le général Maxime Weygand, délégué général de Vichy
pour l’Afrique jusqu’en novembre 1941.
L’affaire
échouant, ils se tournèrent, juste avant leur débarquement du 8 novembre
1942, vers le général Henri Giraud. Vint ensuite le tour de l’amiral François
Darlan, alors à Alger : ce héraut de la collaboration d’Etat à la tête du
gouvernement de Vichy, de février 1941 à avril 1942, était resté auprès de
Pétain après le retour au pouvoir de Pierre Laval (3).
Le
22 novembre 1942, le général américain Mark W. Clark fit signer à
l’amiral « retourné » « un
accord singulier » mettant« l’Afrique du Nord à la disposition des
Américains » et faisant de la France « un
pays vassal soumis à des « capitulations » ». Les
Américains « s’arrogeaient des
droits exorbitants » sur le « prolongement territorial de la France » :
déplacement des troupes françaises, contrôle et commandement des ports,
aérodromes, fortifications, arsenaux, télécommunications, marine
marchande ; liberté de réquisitions ; exemption fiscale ; droit
d’exterritorialité ; « administration
des zones militaires fixées par eux » ; certaines activités
seraient confiées à des « commissions
mixtes » (maintien de l’ordre, administration courante, économie
et censure) (4).
Laval
lui-même préparait son avenir américain tout en proclamant« souhaiter
la victoire de l’Allemagne » (22 juin 1942) : secondé
par son gendre, René de Chambrun, avocat d’affaires collaborationniste doté de
la nationalité américaine et française, il se croyait promis par Washington à
un rôle éminent au lendemain d’une « paix séparée »
germano-anglo-américaine contre les Soviets (5). Mais soutenir Laval était
aussi incompatible avec le rapport de forces hexagonal que ladite
« paix » avec la contribution de l’Armée rouge à l’écrasement de la
Wehrmacht.
Une « belle et bonne
alliance »
Après
l’assassinat, le 24 décembre 1942, de Darlan, auquel furent mêlés les
gaullistes, Washington revint vers Giraud, fugace second de De Gaulle au Comité
français de libération nationale (CFLN) fondé le 3 juin 1943. Au général
vichyste s’étaient ralliés, surtout depuis Stalingrad, hauts fonctionnaires
(tel Maurice Couve de Murville, directeur des finances extérieures et des
changes de Vichy) et industriels (tel l’ancien cagoulard Lemaigre-Dubreuil, des
huiles Lesieur et du Printemps, qui jouait depuis 1941 sur les tableaux
allemand et américain) et
banquiers collaborateurs (tel Alfred Pose, directeur général de la Banque
nationale pour le commerce et l’industrie, féal de Darlan).
C’est
cette option américaine qu’incarnait Pierre Pucheu en rejoignant alors Alger et
Giraud : quel symbole du maintien de Vichy que ce ministre de la
production industrielle, puis de l’intérieur de Darlan, délégué de la banque
Worms et du Comité des Forges, ancien dirigeant et bailleur de fonds du Parti
populaire français de Jacques Doriot, champion de la collaboration économique
et de la répression anticommuniste au service de l’occupant (désignation des
otages de Châteaubriant, création des sections spéciales, etc.).
Lâché
par Giraud et emprisonné en mai 1943, il fut jugé, condamné à mort et exécuté à
Alger en mars 1944. Pas seulement pour plaire aux communistes, que Pucheu avait
martyrisés : de Gaulle lançait ainsi un avertissement aux Etats-Unis et à
la Grande-Bretagne. Il sema l’effroi chez ceux qui attendaient que le sauvetage
américain succédât au « rempart » allemand : « Le bourgeois français, ricanait
un policier en février 1943, [a] toujours
considéré le soldat américain ou britannique comme devant être à son service au
cas d’une victoire bolchevique (6). »
Peignant
de Gaulle à la fois en dictateur de droite et en pantin du Parti communiste
français et de l’URSS, Washington dut pourtant renoncer à imposer le dollar
dans les « territoires libérés » et (avec Londres) reconnaître, le
23 octobre 1944, son Gouvernement provisoire de la République
française : deux ans et demi après la reconnaissance soviétique du « gouvernement de la vraie
France », un an et demi après celle, immédiate, du CFLN, deux mois
après la libération de Paris et peu avant que de Gaulle ne signât avec Moscou,
le 10 décembre, pour contrebalancer l’hégémonie américaine, un « traité d’alliance et d’assistance
mutuelle » qu’il qualifia de « belle
et bonne alliance (7) ».
Ecartée
de Yalta en février 1945, dépendante des Etats-Unis, la France s’intégra
pleinement dans leur sphère d’influence. La vigueur de sa résistance intérieure
et extérieure l’avait cependant soustraite à leur protectorat.
Annie
Lacroix-Riz
Professeur d’histoire
contemporaine, université Paris-VII, auteure des essais Le Vatican, l’Europe et le Reich 1914-1944 et Le Choix de la défaite : les élites
françaises dans les années 1930,Armand
Colin, Paris, 1996 et 2006
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(1) Costigliola Frank, France and the United
States. The Cold Alliance since World War II, Twayne Publishers, New York, 1992.
(2) William A. Williams, The Tragedy of American
Diplomacy, Dell Publishing, New York, 1972 (première édition, 1959).
(3) Robert O. Paxton, La France de Vichy, Seuil,
Paris, 1974.
(4) Jean-Baptiste Duroselle, L’Abîme, 1939-1945,
Imprimerie nationale, Paris, 1982, et Annie Lacroix-Riz, Industriels et
banquiers français sous l’Occupation, Armand Colin, Paris, 1999.
(5) Leitmotiv depuis 1942 de Pierre Nicolle,
Journal dactylographié, 1940-1944, PJ 39 (Haute Cour de justice), archives de
la préfecture de police, plus net que l’imprimé tronqué, Cinquante mois
d’armistice, André Bonne, Paris, 1947, 2 vol.
(6) Lettre n° 740 du commissaire de police au
préfet de Melun, 13 février 1943, F7 14904, Archives nationales ; voir Richard
Vinen, The politics of French business, 1936-1945, Cambridge University Press,
Cambridge, 1991.
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